À la découverte des bories de Veyrignac : Sentinelles de pierre dans le paysage périgourdin

12/10/2025

L'empreinte de la pierre sèche dans le paysage périgourdin

Impossible de parcourir les sentiers de Veyrignac sans croiser, tapies au détour d’un champ ou sur un replat de causse, ces mystérieuses cabanes de pierre, rondes et trapues : les bories. Leur silhouette, où la rigueur des linéaments épouse la tendresse des mousses et la danse du lierre, fait partie intégrante de l’identité profonde de la vallée de la Dordogne. Les bories, construites sans mortier ni ciment, sont un legs précieux du passé paysan et constituent l’un des patrimoines vernaculaires les plus singuliers du Périgord Noir (source : DREAL Nouvelle-Aquitaine).

  • Plus de 350 bories inventoriées rien que sur la partie sud-ouest de la Dordogne, dont une vingtaine recensée dans un rayon de 10 km autour de Veyrignac (source : DRAC Aquitaine, Recensement 2017).
  • Elles se dressent souvent à mi-pente, sur les plateaux plutôt que dans la plaine, où l’on récoltait le caillou en remontant les champs chaque année.

Origine et évolution : la naissance des bories

Encore appelées cabanes, gariottes ou capitelles selon les régions, les bories ont fleuri dès le Néolithique, mais ce sont surtout les bories bâties entre le XVIIe et le XIXe siècle qui subsistent à Veyrignac. On les érigeait là où la terre, généreuse en pierres, facilitait une architecture sans bois, ressource rare sur les causses (source : Centre international de la pierre sèche).

  • Le terme “borie” est relativement récent dans la région : il s’est généralisé au XXe siècle. Localement, le mot “cabane” restait préféré par les anciens.
  • Ces cabanes n’étaient pas des habitations principales, mais des abris saisonniers, des remises à outils ou des refuges contre l’orage pour les bergers et vignerons (Inventaire Général Nouvelle-Aquitaine).

Architecture : un savoir-faire hérité

Typiques pour leur voûte en encorbellement, les bories sont issues d’un art ancestral : la pierre sèche. Chaque pierre plate trouvée sur place s’ajuste patiemment, formant des murs pouvant atteindre soixante centimètres d’épaisseur.

  • La construction ne fait appel à aucun liant : stabilité et étanchéité proviennent exclusivement de l’agencement minutieux des blocs.
  • La forme circulaire, parfois ovale, privilégie la résistance au poids et favorise l’écoulement de la pluie, prolongeant la vie de l’abri.
  • Un dôme culmine généralement entre 2,50 m et 4 m selon les ressources du terrain.

Fonctions et usages : la vie dans et autour des bories

Bien loin de la simple curiosité architecturale, les bories étaient un élément central de l’organisation agricole. À Veyrignac comme dans tout le Sarladais, la vie rurale s’organisait autour de ces abris, à la fois points de repère et relais de la vie quotidienne.

  1. Remises et abris temporaires : On y stockait faucilles, pelles ou paniers, mais aussi, dans le cœur de l’été, quelques réserves de fruits et de légumes.
  2. Abris pour bergers et vignerons : Lorsque la météo se mettait à l’orage, il n’était pas rare de voir s’abriter pâtre et son troupeau à l’intérieur d’une borie.
  3. Suivis de “païssels” : Les cabanes étaient souvent accompagnées d’enclos rudimentaires (païssels) pour parquer brebis ou chèvres.
  4. Outillage saisonnier : Autour des bories, on retrouvait fréquemment des aménagements secondaires : murets, cuves à vin, fours à pain ou citernes.

Les témoignages d’anciens du village, tels ceux recueillis lors de l’enquête “Paroles de pierres” menée par l’association Pierre et Savoir-Faire en 2015, insistent sur la convivialité de ces lieux, propices à la sieste à l’ombre épaisse comme à la dégustation d’un casse-croûte paysan à la mi-journée.

La borie, témoin discret de l’histoire locale

Au fil des siècles, les bories de Veyrignac sont devenues des marqueurs silencieux de l’occupation du territoire. Elles révèlent une intelligence pratique de la ruralité, mais aussi l’histoire mouvementée d’un Périgord qui a dû adapter ses usages à un environnement caillouteux.

  • Entre autosubsistance et adaptation : La construction des bories répondait à l’impératif d’optimiser chaque recoin du paysage, avec une rare économie de moyens.
  • Un pic de construction entre 1780 et 1860 : Cette période de fortes mutations agricoles a vu la multiplication des bories, suite à la défriche des causses et l’intensification de la polyculture (source : Guide “Pierre sèche en Dordogne”, Philippe Armenet, 2012).
  • Anecdote : la borie-refuge : Pendant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs bories isolées de la vallée servaient de cachettes temporaires pour les maquisards ou d’abri pour les braconniers (témoignages locaux — oral).

Bories et paysages : une alliance esthétique

La présence des bories façonne profondément le regard sur les paysages autour de Veyrignac. Elles dialoguent avec les murets, les terrasses, les chemins creux. Elles inscrivent dans la topographie un rythme, une respiration propre au pays, que chaque marcheur ressent en les découvrant au détour d’un sentier bordé de buis et de châtaigniers.

  • Les bories de la plaine de Veyrignac se reconnaissent à leur couverture en lauze calcaire grise, subtilement patinée par la pluie et les années.
  • En hiver, leur rondeur se détache sur les friches ; lors des matinées d’été, elles abritent encore la rosée sous leur voûte fraîche.

Préservation et valorisation : un enjeu pour le patrimoine local

Si l’on recense aujourd’hui quelques bories restaurées, beaucoup demeurent fragilisées par les outrages du temps et l’oubli. La préservation de ce patrimoine nécessite un engagement collectif, mêlant savoir-faire artisanal et sensibilisation locale.

  • Initiatives locales : Depuis une dizaine d’années, la mairie de Veyrignac, le Parc Naturel Régional des Causses du Quercy et plusieurs associations périgourdines encouragent la restauration de bories grâce à des chantiers participatifs et des journées “pierres sèches”.
  • Chiffre-clé : Entre 2017 et 2023, ce sont près de 8 projets de restauration et d’inventaire qui ont été menés dans la vallée de la Dordogne (source : Bâtir en pierre sèche, Fédération Française des Professionnels de la Pierre Sèche).
  • Reconnaissance UNESCO : Depuis 2018, l’art de la construction en pierre sèche a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO), encourageant nouveaux chantiers et transmission des techniques en Nouvelle-Aquitaine.

Borie et tourisme : quel enjeu pour l’avenir ?

Les bories, loin d’être seulement des vestiges muets, attirent un nouveau regard. Elles représentent l’âme rurale autant que la promesse d’une autre façon de découvrir le Périgord. Plusieurs circuits de randonnée thématiques, autour de Veyrignac, invitent locaux et visiteurs à parcourir ces héritages de pierre :

  • Le circuit des Cabanes en pierre sèche propose, lors des Journées du Patrimoine, une balade ponctuée d’anecdotes et de démonstrations de pose de lauze (informations à la mairie ou sur le site du Pays d’Art et d’Histoire Vézère - Vallée de la Dordogne).
  • Des ateliers d’initiation à la pierre sèche sont parfois organisés pour les scolaires et les familles.

Un patrimoine à toucher du regard… et du cœur

Les bories de Veyrignac relèvent d’un génie local fait de patience, de discrétion et de respect du territoire. Leur simplicité architecturale n’exclut ni poésie ni émotion. Chaque borie, chaque abri, semble raconter la synergie obstinée entre l’homme et la pierre, entre l’utile et le beau, entre la mémoire et le vivant. En arpentant les chemins où elles sont encore debout, on comprend pourquoi elles incarnent l’un des symboles les plus forts et les plus touchants du patrimoine local. Elles rappellent, surtout, qu’il n’est point besoin de faste pour créer l’émerveillement—il suffit parfois d’une voûte de lauze, d’un silence entre deux murets, et d’un rayon de soleil doré sur la pierre ancienne.

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