À la découverte des pierres paysannes : ce que le bâti révèle du passé agricole de Veyrignac

07/10/2025

Aux origines d’un paysage rural : le poids de l’agriculture dans la formation du bâti

Le Périgord Noir s’est forgé, à partir du Moyen Âge, une identité agricole solidement ancrée. L’élevage, la polyculture vivrière et la vigne, omniprésente au XIXème siècle, ont façonné forêts, chemins… et murs encore debout aujourd’hui (Direction de l’Inventaire général, région Nouvelle-Aquitaine).

  • Selon le recensement agricole de 1882, Veyrignac comptait plus de 70 exploitations pour à peine 600 habitants (Gallica - INSEE). La division parcellaire a entraîné la multiplication de petites bâtisses et de dépendances.
  • Près de 90% du bâti ancien du village était directement lié à la vie rurale : maisons de maîtres, maisons de journaliers, granges, étables, séchoirs.

Facteur-clé : la singularité architecturale du Périgord Noir, où le calcaire et la pierre ocre dominent. La disponibilité locale de ces matériaux explique leur abondance dans les murs, toitures et murets – autant d’éléments pensés pour résister au temps, mais aussi pour assurer le bon déroulement des travaux agricoles.

Maisons paysannes et fermes : la vie au rythme des saisons

La maison-bloc : cœur du hameau rural

À Veyrignac, la plupart des fermes anciennes suivent un schéma appelé “maison-bloc”, où le logement et la grange sont regroupés sous le même toit ou sur un plan en L. Cette implantation, fréquente du XVIIème au XIXème siècle, favorisait le transport des récoltes, la surveillance des animaux, et l’entraide entre générations (source : Inventaire patrimonial du Périgord Noir).

  • Entrées à double porte : Une grande porte pour les charriots, une petite pour le passage quotidien. Les linteaux, en bois ou pierre, gardent la trace de ces allées et venues.
  • Épaisses Murailles : Certaines maisons dépassent 60cm d’épaisseur, pour garder la fraîcheur l’été et protéger du gel en hiver. Plusieurs bâtisses de la route de Roqueyroux conservent cette architecture protectrice.
  • Caves semi-enterrées : Les sols, souvent instables en bord de vallée, poussaient à enterrer partiellement les caves, idéales pour conserver les denrées, mais aussi le vin ou le fromage.

Cheminées et fours à pain : des foyers pour tous

La cheminée monumentale, pierre maîtresse des veillées, se retrouve encore dans de nombreux foyers de Veyrignac. En façade ou dans la cuisine, elle était souvent flanquée du four à pain, construit à l’écart du logis principal afin de limiter les risques d’incendie.

  • Au lieu-dit Saint-Aubin, on distingue un four à pain indépendant, bâti à la fin du XVIIIème siècle, restauré dans les années 1990.
  • Un circuit pédestre permet aujourd’hui de repérer plusieurs vestiges de ces foyers (« Les fours de Veyrignac » - Association Veyrignac Patrimoine).

Granges, étables, bergeries : les « annexes », symboles du mode de vie paysan

La grange-étable périgourdine : l’alliée des récoltes et du bétail

À mi-chemin entre le stockage et la stabulation, la grange périgourdine se reconnaît à ses grandes portes en plein cintre et à ses lucarnes ovales utilitaires.

  • Édifiée majoritairement en pierre calcaire, la grange offre deux volumes : à l’étage, le grenier pour le foin ; en rez-de-chaussée, l’étable pour quelques bœufs ou vaches. Près du chemin de la Peyssagole, une grange du XIXème siècle conserve encore ses cheneaux d’évacuation d’eau de pluie, innovation rare à l’époque.
  • Il subsiste une dizaine de bâtiments mixtes (étable-grange) datant de 1850-1880 dans le périmètre communal (source : Cadastre napoléonien).

Les bergeries de pierre sèche : discrètes mais précieuses

Plusieurs petites bergeries à la couverture en lauze jalonnent les abords des prés, héritage des troupeaux ovins nombreux jusqu’au début du XXème siècle.

  • La technique de la pierre sèche, sans mortier, permettait d’élever rapidement de petits abris mobiles ou semi-durant. Ces bergeries servaient l’hiver, mais aussi pour la mise bas des brebis ou l’agnelage de printemps.
  • Un exemple remarquable subsiste au Pech de la Cure, visible depuis le sentier de randonnée en direction du lac de Groléjac.

Séchoirs à tabac et greniers à maïs : l’empreinte des cultures spécialisées

L’essor du tabac dès 1850 a laissé dans la vallée de la Dordogne une architecture singulière : le séchoir à tabac, reconnaissable à son ossature en bois sombre, ses rangées d’aérations, et ses bardages inclinés.

  • À Veyrignac, au moins quatre séchoirs subsistent en état : l’un rue du Puits, deux le long de la route de la Tuilerie, et un autre aux abords du ruisseau de Pontou.
  • Le séchoir, souvent adossé à une remise en pierre, pouvait mesurer plus de 20 mètres de long, pour accueillir les feuilles mises à sécher sur des barres de bois (source : Musée du Tabac de Bergerac).

Autre vestige rare : les greniers à maïs (« sécadou » ou « maïsou » en occitan), petits bâtiments aérés sur pilotis, parfois en torchis, où l’on stockait les épis pour limiter l’humidité et la voracité des rongeurs.

  • Il reste deux « sécadous » bien conservés dans le bas du village, témoignage d’un mode de stockage hérité des cultures de maïs puis de châtaignes au XIXe siècle.

Murets, fontes, puits : le “petit patrimoine” rural à ne pas négliger

Le patrimoine agricole du village, c’est aussi un ensemble de constructions modestes mais essentielles à la vie quotidienne.

  • Les murets de clôture, en pierre sèche ou maçonnés, délimitent anciens jardins et pâtures. Leur alignement sinueux épouse les reliefs et trace encore la mosaïque parcellaire d’autrefois.
  • Puits couverts : Plus d’une quinzaine recensés sur la commune ; plusieurs sont datés (18e-19e siècles), couverts d’une voûte en bâtière de lauzes. Ils assuraient l’eau potable pour la famille, mais irriguaient aussi potagers et vergers (source : base Mérimée, Ministère de la Culture).
  • Fontaines-abreuvoirs : comme celle du hameau de la Plaine, ancien point névralgique pour le bétail, elle a connu plusieurs restaurations successives depuis 1820.

À observer lors d’une balade : comment lire les traces du passé agricole

Sillonnez les sentiers de Veyrignac par une matinée printanière : chaque recoin réserve sa surprise. Voici quelques indices pour reconnaître le bâti agricole :

  1. Repérez les linteaux sculptés : initiales, dates, parfois outils gravés, discrets hommages aux bâtisseurs.
  2. Cherchez les ouvertures étroites (« jours ») destinées à aérer le foin ou éclairer les étables sans courant d’air.
  3. Observez le parement des murs : pierres équarries pour les maisons, brutes ou grossièrement taillées pour les annexes, traces du statut social ou de la fonction du bâtiment.
  4. Notez la présence de rampe d’accès en pente douce : souvent reliée au grenier, dite "rampot" ou "cournadou", facilitant la montée du fourrage et du matériel.

Nombre de ces éléments, rongés par le temps ou patinés par la mousse, sont encore utilisés ou restaurés, signe que l’histoire paysanne façonne non seulement les paysages, mais aussi les habitudes de ses habitants.

Perspectives rurales : un héritage vivant à préserver

Les traces du passé agricole à Veyrignac ne sont pas des vestiges figés. Chaque restauration, chaque projet valorise la transmission de savoir-faire et la quête d’un équilibre entre vie contemporaine et respect du patrimoine. La valorisation de ces bâtiments passe par l’implication des habitants, le soutien d’associations locales (Veyrignac Patrimoine, Fondation du Patrimoine), et la sensibilisation des plus jeunes à cette histoire rurale. Les initiatives de restauration témoignent, à leur manière, de la vie d’un village qui puise sa vitalité dans la mémoire de sa terre.

Plus qu’un décor, le bâti agricole est la mémoire silencieuse des hommes et des femmes qui ont façonné les pierres et les paysages de Veyrignac. S’y promener, c’est renouer avec le fil du temps, là où la pierre et la nature continuent de dialoguer, saison après saison.

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