Les murets en pierre sèche : gardiens discrets et vivants de Veyrignac

04/10/2025

L’évidence de la pierre sèche dans le décor de Veyrignac

Au fil des chemins entre Dordogne et Causses, un regard un peu attentif n’aura pas manqué de remarquer ces rubans de pierres qui serpentent entre prairies, forêts de chênes et terrasses anciennes : les murets en pierre sèche. À Veyrignac, comme dans tant d’autres villages du Périgord Noir, ils accompagnent silencieusement le quotidien, dessinent les perspectives et racontent, sans mot, une partie essentielle de l’histoire locale.

Mais leur présence ne relève pas que du passé. Ces murets façonnent encore les paysages, participent à l’équilibre écologique, et incarnent un patrimoine humble mais profondément vivant. D’où viennent-ils ? Comment sont-ils construits ? Pourquoi leur préservation est-elle si précieuse ? Plongée au cœur de la pierre sèche, signature de Veyrignac.

Une histoire enracinée dans la terre du Périgord

Les murets en pierre sèche sont indissociables de la vie rurale du sud-ouest, particulièrement en Dordogne et dans le Sarladais (Source : Inventaire du patrimoine d’Aquitaine). Leur origine remonte à l’époque où la pression démographique, au XIXe siècle, obligeait à défricher, cultiver et exploiter les terres jusque dans les coins les plus pierreux.

  • Défrichage et champs gagnés sur la forêt : l’accumulation de pierres gênant la culture a naturellement mené à leur utilisation comme clôtures et limites parcellaires.
  • Fonctions agricoles anciennes : délimitation des terres, soutien des talus, canalisations de ruissellement.
  • Savoir-faire paysan : transmission orale des techniques, souvent adaptées à la nature du calcaire local.

À Veyrignac, la première mention explicitant ce type de maçonnerie apparaît dans les archives cadastrales du début du XIXe siècle. On estime que près de 15 km de murets bordaient autrefois les chemins et les champs du village (Site Pierres sèches France).

Construire sans mortier : un art aussi technique qu’écologique

La technique de la pierre sèche repose sur un principe simple et pourtant subtil : assembler les pierres “à sec”, sans aucun liant, en exploitant le jeu des formes, des poids et des contrepoids.

  • Matériaux locaux : calcaire du pays, plus rarement grès ou schiste trouvés sur place.
  • Mise en œuvre : pierres soigneusement sélectionnées, parementées, calées et imbriquées pour assurer stabilité et durabilité.
  • Drainage naturel : l’absence de mortier laisse passer eau et air, ce qui évite la casse due aux poussées du gel et facilite l’écoulement des eaux de pluie.
  • Respect du relief : chaque muret épouse les sinuosités du terrain et révèle la main de l’homme autant que celle de la nature.

Une étude menée par le Groupe Pierre Sèche de France estime qu’il fallait deux à quatre journées de travail pour édifier 10 mètres de muret traditionnel, selon la technicité et les conditions du site.

Signatures paysagères : comment les murets dessinent Veyrignac

Des lignes qui guident et structurent l’espace

Les murets de Veyrignac rythment le paysage, délimitant les vieux vergers, accompagnant la courbe d’une route ou la pente d’une terrasse cultivée. Leur alignement n’est pas anodin : ils structurent le territoire, racontant sa conquête par l’agriculture, la répartition des propriétés ou les usages de parcours.

  • Délimitations de parcelles : héritage d’un morcellement ancien du foncier, visible sur le cadastre napoléonien.
  • Clôtures pour les troupeaux : empêchant le bétail d’envahir les cultures.
  • Soutènements de terrasses agricoles : particulièrement sur les pentes exposées du Périgord Noir.

Une esthétique rurale, harmonieuse et vivante

La pierre sèche donne son identité à Veyrignac au même titre que les toitures de lauzes ou les cheminées périgourdines. En toute saison, la lumière et la mousse accentuent le relief de ces pierres. En été, elles accueillent des lézards et parfument l’air de thym sauvage. En automne, leur gris se teinte d’ocre sous la pluie et les lichens.

Selon l’inventaire des paysages ruraux du Périgord Noir mené par le CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) de la Dordogne, “la pierre sèche façonne l’image du territoire, symbolisant l’effort collectif et l’ingéniosité rurale locale” (CAUE Dordogne, 2022).

Ecosystème et biodiversité : quand le muret devient refuge

Bien plus qu’un simple élément minéral, le muret en pierre sèche est aujourd’hui reconnu comme un milieu à part entière pour la biodiversité. Leur structure alvéolée offre de multiples abris pour la faune et le microcosme végétal.

  • Faune : lézards des murailles, vipères aspic, crapauds, grenouilles, petits mammifères (musaraignes, loirs), couleuvres, insectes pollinisateurs.
  • Flore : fougères, lichens, mousses, giroflée, pariétaire, sedums.
  • Oiseaux nicheurs : rougequeue noir, troglodyte, accenteur mouchet.

La LPO Nouvelle-Aquitaine signale que près de 35 espèces animales protégées utilisent régulièrement les murets de pierre sèche comme abri ou corridor écologique (LPO NA).

Un patrimoine en péril… mais des initiatives pour le préserver

Le patrimoine de la pierre sèche n’est pas figé ; il menace de disparaître, faute d’entretien, de transmission du geste et sous la pression de l’urbanisation. Le déclin est réel : sur les 8 000 km de murets inventoriés en Dordogne il y a un siècle, moins de 40% sont encore visibles de nos jours (France Bleu Dordogne).

À Veyrignac, quelques initiatives commencent à voir le jour :

  • Chantiers participatifs de restauration, parfois en lien avec le Parc naturel régional des Causses du Quercy tout proche.
  • Programmes pédagogiques dans les écoles pour sensibiliser à cette architecture fragile.
  • Formations proposées par le CAUE ou par des associations spécialisées.

L’UNESCO a reconnu la pratique de la pierre sèche comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2018, soulignant son rôle universel dans la construction harmonieuse de paysages ruraux (UNESCO).

Des sentiers et des histoires : redécouvrir les murets en flânant à Veyrignac

Le meilleur moyen de saisir la valeur des murets en pierre sèche est de partir à pied sur les chemins communaux : le chemin des Brandes vers le vallon du Vidalou, l’ancienne route des “Latières” menant aux terrasses surplombant la Dordogne, ou encore les sentiers de crêtes vers Payrignac.

  1. Chemin des Brandes :
    • Murets arasés colonisés par des prunelliers
    • Vestiges de portails rustiques
  2. Route de Latières :
    • Murs en double parement, conservés sur plus d’1,20 m de hauteur
    • Lieux-dit fameux pour leurs orchidées sauvages
  3. Vers la forêt domaniale :
    • Murets transversaux marquant l’emplacement d’anciennes cultures abandonnées
    • Points de vue sur la transition entre plateau calcaire et fonds de vallée

Chaque muret croisé porte la trace de siècles d’adaptation, de travail sans relâche et d’un lien profond entre l’homme, la pierre et la terre. Rien d’un décor de carte postale figé : il s’agit de témoins vivants à qui l’on doit, à Veyrignac, une part visible de la beauté et du caractère du village.

Pistes pour prolonger la découverte… et préserver cet héritage

  • Observer les différents types de murets lors de balades : simples ou doubles parements, avec ou sans chapeau, plus ou moins hauts selon la fonction.
  • Photographier et documenter les plus beaux exemples pour contribuer à l’inventaire participatif lancé par la Fédération Française des Professionnels de la Pierre Sèche (FFPPS).
  • Soutenir ou participer à une journée de restauration bénévole, pour comprendre l’intelligence du geste et l’équilibre trouvé entre pierre, silence et nature.
  • Échanger avec les anciens du village : certains possèdent encore un savoir-faire, des souvenirs d’antan et des anecdotes inattendues à recueillir…
  • Lire et s’informer : “Les murs en pierre sèche du Périgord Noir” (Éditions Sud Ouest), “L’art des murets” (Pays d’art et d’histoire du Périgord noir, 2019).

Approcher les murets de Veyrignac, c’est ouvrir une porte sur la mémoire, la nature et la main de l’homme : un patrimoine humble, précieux, et d’une modernité inattendue. Dans ce paysage, chaque pierre posée sans bruit parle de respect, d’écologie avant l’heure et de la beauté qui ne se donne jamais tout à fait d’un seul regard.

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